Découvrez STORIES : spécial Made in France, une série de témoignages, au long cours, d’entrepreneurs hardware ayant tenté le Made in France. Vous y découvrirez leurs aventures uniques, leurs expériences et leurs retours terrains, qu’ils soient positifs ou négatifs mais toujours sans langue de bois.
Pour ce premier épisode, nous recevons Alexandre Touzet, fondateur dynamique et déterminé de Nanonap
Son entreprise, créée en décembre 2018, s’est donnée pour mission de réparer le sommeil des populations. Entre crise sanitaire et difficultés de financement, il nous livre le récit de son parcours semé d’embûches, de sa vision du hardware Made in France et des difficultés rencontrées.
Sommaire
- NanoNap : un projet de R&D au temps long.
- Un boitier pour la réparation du sommeil.
- Des laboratoires de recherche aux usines, matérialisation de la science.
- Des débuts de production difficiles amplifiés par la crise sanitaire.
- Projets Hardware et France, l’amour vache.
- De la difficulté de trouver des financements adaptés.
- Et les freins s’accumulent
- La certification dans le hardware, pas une mince affaire.
- Un manque d’accompagnement notable.
- Quelles sont les étapes à venir pour NanoNap ?
- Un conseil pour les futurs entrepreneurs hardware ?
NanoNap : un projet de R&D au temps long.
Alexandre Touzet :
Nous avons officiellement lancé le projet NanoNap en décembre 2018, mais les premières recherches sur la question datent de 2003. Avant de lancer la fabrication du boitier, nous capitalisions donc sur 15 à 20 ans de recherche pour le développement de notre solution.
En ce sens, on pourrait le qualifier de Deeptech : nous avons sorti la recherche des laboratoires pour la matérialiser sous forme de produit. En France, il y a d’ailleurs énormément de savoirs dormants dans les laboratoires, c’est dommage.
En nous intéressant à plusieurs études consacrées aux neurosciences, nous nous sommes donc rendu compte que notre sommeil n’était pas assez performant et que la multiplication des perturbateurs dans notre quotidien comme les ondes, le stress et les sollicitations en tout genre n’arrangeaient pas ce problème.
Notre cerveau se répare grâce au sommeil. Si celui-ci est mauvais, les neurones ne se régénèrent pas correctement et nous perdons en efficacité et énergie. D’après le spécialiste mondial du sommeil, Matthew Walker, les risques de faire un AVC seraient même augmentés de 200% après une courte nuit de 6h.
Les recherches indiquent également qu’une actuelle recrudescence des maladies neuro-dégénératives serait en partie dues à un sommeil non réparateur.
Toutes ces découvertes ont été le déclencheur du projet NanoNap : l’envie d’améliorer l’efficacité de notre sommeil pour nous permettre de vivre mieux.
Un boitier pour la réparation du sommeil.
L’objectif du boitier NanoNap est donc de permettre aux personnes d’avoir un sommeil plus réparateur.
Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire en faisant une bonne nuit, sans stress, sans enfants ou tout autres “perturbateurs”, le cerveau répare environ 97% des neurones. Les 3% restant ne se régénèrent donc pas naturellement. Cette dégradation est due au fait que le signal envoyé par le thalamus ne parvient pas à couvrir tout le cerveau. C’est là que nous intervenons avec NanoNap.
Notre solution se présente sous la forme d’un boitier utilisant la neuro-stimulation pour répliquer le signal émis par le thalamus afin de couvrir l’ensemble du cerveau et ainsi, améliorer sa capacité de réparation. Pour schématiser, cela fonctionne sur le même principe qu’un répéteur Wifi : en appliquant notre boitier sur le front, il étend la portée du signal d’origine en améliorant la couverture et simplifie alors la circulation du signal.
Avec cette solution, nous constatons une amélioration de 20% de la mémoire déclarative, ce qui permettrait d’accroître l’efficacité dans nos tâches quotidiennes et professionnelles. Nous faisons, en outre, œuvre de pédagogie auprès des utilisateurs en leur rappelant combien un sommeil de qualité est vital.
Des laboratoires de recherche aux usines, matérialisation de la science.
Avant même le lancement du projet, nous sommes passés par une longue phase de recherche et développement, profitant des travaux qui avaient déjà été effectués en France, notamment grâce aux librairies de la SATT (Sociétés d’accélération du transfert de technologies). Ce sont ces études qui nous ont permis de trouver une solution viable et valorisable.
Nous nous sommes concentrés sur les études qui détectent les phases de sommeil à partir de signaux faibles, comme la température du corps et le mouvement. L’objectif étant de développer un produit simple le plus précis possible, plus développé qu’un bracelet connecté, mais moins dense que le casque d’analyse d’un de nos concurrents.
Nous avions d’abord envisagé de développer des oreillettes, mais ces dernières n’étaient pas pratiques pour dormir. Nous avons ensuite pensé à des patchs jetables, mais pas très écologiques. Aujourd’hui, notre dernière version se présente comme un bandeau qui se porte sur le crâne et ne pèse plus que 30 grammes. Le faible poids était un critère essentiel de développement. L’objectif étant de rendre le port du boîtier le plus agréable possible la nuit, mais également durant la journée pour améliorer la concentration, remplacer le café ou optimiser la sieste.
Des débuts de production difficiles amplifiés par la crise sanitaire
La version actuelle est produite à Toulouse par une usine sous-traitante d’Airbus. Nous sommes très satisfaits du résultat, mais ça n’a pas toujours été aussi simple. Au tout début, nous avions rencontrés quelques difficultés avec un autre industriel français, la qualité de fabrication et le professionnalisme laissant à désirer. Nous avions, à l’époque, dépensé 30 000 euros pour récupérer un produit, in fine, non fonctionnel. Montage à l’envers, soudure trop épaisse entrainant des courts-circuits, délais de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, entre les versions. Il fallait globalement être sur place pour que les choses avancent.
Nous avions alors pris la décision de nous réorienter vers la Chine, que je connaissais bien grâce à une précédente startup. Si la Chine est bien l’usine du monde, c’est la ville de Shenzhen qui est le centre de l’électronique mondiale. Cette ville, sortie de terre il y a moins de vingt ans, propose tout ce dont on peut rêver pour développer un appareil électronique : les usines de fabrication de composants sont en face des usines d’assemblage, ce qui réduit à 0 le délai de livraison. Cela permet de réaliser des prototypes dans la journée et donne accès à la crème de l’expertise électronique mondiale avec les armées d’ingénieurs spécialisés qui travaillent sur place.
Puis la COVID est arrivée, les frontières ont été fermées et les productions arrêtées. La production a été gelée pendant 6 mois. 6 mois durant lesquels nous devions continuer à payer les charges et verser les salaires. Nous avons été contraints de réduire l’équipe de 16 personnes à 4… Nous avons été confrontés de manière assez violente aux limites du travail avec la Chine : quand les frontières sont fermées, elles sont fermées, sans exception.
Cela fait maintenant un an que cette crise a commencé et on ne peut toujours pas se rendre sur le territoire chinois. C’est cet événement qui a motivé la décision du retour au Made in France.
Projets Hardware et France, l’amour vache.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le hardware Made in France n’est pas une mince affaire. D’un point de vue historique, la France n’est pas le meilleur endroit pour développer du hardware, notamment en termes de soutien. Dans leur grande majorité, les différents interlocuteurs auxquels nous avons eu affaire ne comprenaient pas ce que l’on faisait. Non pas qu’ils ne comprenaient pas le projet, mais ils n’avaient pas du tout les codes de compréhension d’un projet hardware en termes de coûts, délais, besoin d’investissement, de trésorerie, d’accès matériel…
De la difficulté de trouver des financements adaptés
Pour l’épineuse question de la recherche de financements, c’est très compliqué à gérer car dans la plupart des aides / subventions / investissements, les conditions de financement projet sont les mêmes que pour le software. Or, les enjeux et besoins de trésorerie ne sont pas du tout identiques. Par exemple, nous avons eu la chance de recevoir 25 000 euros d’aides de la BPI. C’est toujours ça de pris, mais avec 25 000 euros dans le software, on lance un produit ; avec 25 000 euros dans le hardware, on fait à peine un moule en dupli silicone, c’est-à-dire même pas de l’outillage définitif.
Les investisseurs et les business Angel français sont très réticents à investir dans du hardware. Les risques sont plus grands et les retours sur investissements plus longs. Rien ne les incite à se lancer.
Il existe tout de même des accompagnements hardware, mais la plupart du temps, il faut être déjà bien engagé dans la phase de lancement et avoir un semblant de traction pour que ce soit intéressant. Tant qu’on n’a pas commencé les préséries ils ne peuvent pas vraiment nous aider, c’est pareil pour les incubateurs. Quand on regarde au Royaume Uni ou aux Etats-Unis, les investisseurs sont beaucoup plus ouverts à ce type de projet et, surtout, ils ont une culture du risque très différente de la nôtre.
Et les freins s’accumulent
S’ajoute aux problèmes de financement le fait que nous sommes limités en termes de ressources : les composants proviennent forcément de l’extérieur, Chine ou États-Unis la plupart du temps. Et enfin, l’accès à des machines est très compliqué. Les deux seuls fablabs de Paris ont fermé leurs portes (Usine IO et Techshop) et la plupart des autres sont intégrés à des écoles ou des entreprises fermées au public extérieur.
Là encore la différence avec le développement logiciel se fait sentir : le télétravail ne change pas grand-chose pour un développeur, mais en l’absence de machines, un ingénieur hardware n’a pas d’autre choix que de rester sur la planche à dessin. 2 mois après avoir commencé le Made in France, l’annonce quasi simultanée du plan de relance pour l’industrie et de la fermeture de l’ensemble des fablabs de Paris nous a fait vraiment douter de notre choix.
En lançant un appel à l’aide sur LinkedIn, nous avons fini par trouver un fablab à 1h de Paris, une preuve que la force d’une communauté peut compenser, mais elle devrait plutôt nous aider à accélérer, développer et amplifier, pas seulement compenser.
Cette fin d’année 2020 fut définitivement la période la plus difficile depuis la création de l’entreprise. Cette crise nous a beaucoup appris. Nous avons pu nous adapter pour commencer 2021 sur les chapeaux de roues, même si le Made in France reste un challenge quotidien.
La certification dans le hardware, pas une mince affaire.
Une chose qu’il n’y a pas dans les projets software, mais qui est indispensable en hardware, c’est le marquage « CE ». Le processus pour l’obtenir dure plusieurs mois et peut parfois coûter près de 500 000€. Entre tous les prototypes que nous devons fournir, les tests en laboratoires, le temps investi… C’est un coût conséquent que nous avons tendance à oublier. Sans compter les changements de réglementation qui provoquent des goulots d’étranglements dans le traitement des dossiers. De plus, le marché européen est particulier, il y a beaucoup de pays et de langues différentes. Tout cela complexifie davantage le lancement d’un produit en Europe.
Un manque d’accompagnement notable.
Pour finir, comme vous avez pu le comprendre, nous avons manqué de support en général, ce qui ne nous a pas facilité la tâche et ne nous a pas encouragé à rester en France.
Je préférerais que nous puissions rester, j’aime beaucoup la science et les talents que nous avons ici. Mais il y a aussi pleins de défauts et, notamment, l’absence d’infrastructure et d’un écosystème hardware, qui représente un frein au développement du hardware Made in France.
Quelles sont les étapes à venir pour NanoNap ?
Nous ne sommes pas les seuls à fabriquer des appareils innovants, et comme dans toute situation difficile, on se soutien les uns les autres. C’est ce soutien qui nous a permis de trouver les partenaires que nous avons aujourd’hui et qui nous propulse dans l’année 2021.
Depuis le début du projet, nous avons accéléré le temps de développement de nos prototypes, passant de 8 mois à 1. Notre programme de test pilote avec les gamers rencontre un franc succès, et les premières données récoltées démontrent une amélioration sensible de leurs performances de jeu ainsi que de leur santé. La route vers une commercialisation aux Etats-Unis est toute tracée. En attendant que l’Europe mette de l’ordre dans son processus de certification CE, nous resterons en early access limité aux tests pilotes pour nos premiers utilisateurs. Une rustine pour une situation qui mériterait une attention politique. La liste d’attente pour l’early access en 2021 s’allonge d’ailleurs de jour en jour, et nous ouvrons les dépôts de cautions à la fin du mois d’avril. Le projet décolle.
Enfin, nous clôturons une levée de fonds qui nous permettra d’accélérer notre développement. Malheureusement, aucun investisseur français ne sera autour de la table.
Un conseil pour les futurs entrepreneurs hardware ?
Si je n’avais qu’une seule chose à dire aux jeunes entrepreneurs qui souhaiteraient faire du hardware, c’est qu’il est bien plus facile de déménager que de faire venir à soi. Le monde est un terrain de jeu, mais seulement pour ceux qui font du software. Pour du hardware, votre localisation compte, pour le moment, encore beaucoup.”
Merci Alexandre Touzet, fondateur de Nanonap
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